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13 juillet 2007




Le formol de l'antithèse.

C’est une fille qui veut absolument y arriver. Y arriver y arriver y arriver. Y arriver y arriver, elle pense qu’à ça, elle en tousse même et même qu’elle couche. Elle a des idoles féminines et quand il a fallu faire son site internet elle a dit : faut que mon site soit comme celui de Truc. Même qu’elle s’habille comme Truc aussi. Et dès qu’elle croise des gens qui sont susceptibles de devenir comme Truc, elle les note dans son calendrier, elle moissonne. Elle les rappelle tous les deux mois pour vérifier qu’elle existe toujours dans leur mémoire, elle se cultive en eux, elle se regarde pousser. Entre temps elle couche elle couche y arriver y arriver y arriver elle couche y arriver elle couche elle sait plus où donner du sein tout est propice à sa consécration elle s’arrête sur tout le monde croyant y voir Truc c’est facile de l’embobiner il suffit de sortir une carte de visite une fonction ou un titre honorifique alors elle couche elle couche croyant toujours rencontrer un Truc et par capillarité devenir du même coup ce Truc, collaborer avec ce Truc, prendre un peu de l’étincelle de ce Truc. Coucher c’est cool parce que ça fait déjanté, qu’elle se dit. Ça fait un peu rebelle. Ça fait un peu trash (elle est contente). Coucher, elle ressent rien, ce qu’elle se demande par contre pendant qu’il la termine, c’est s’il pourra lui prêter son atelier et l’introduire dans son clan parce que c’est quand même un mec un peu connu même s’il l’est pas trop. Mais c’est mieux que rien. Elle s’en fout de toute façon parce que le temps passe vite, et qu’elle n’a pas le choix, elle a investi toute sa vie entière dans la quête de la célébrité artistique donc elle couche y arriver elle couche, elle couche mentalement bien sûr c’est quand même moins éreintant quand ça reste que mental, elle séduit elle gonfle son carnet d’adresses, dans son carnet d’adresses tout le monde a une fonction qui pourrait éventuellement lui servir, il y a aussi ceux qui potentiellement un jour peuvent devenir célèbres sait-on jamais elle les garde de côté pour ce jour précis où elle pourra dire c’est moi tu te souviens je t’adore. À force de coucher elle finit par choper une MST alors elle va consulter un gynéco il lui dit MST en plus vous êtes enceinte c’est flippant alors le soir même elle s’arrache le machin du ventre avec un pote parce qu’elle voudrait pas grossir ça empêche de coucher ça empêche la célébrité de toute façon qu’est-ce qu’elle ferait d’un machin blond suspendu à son bras dans le métro, elle l’oublierait sur un strapontin. Alors le lendemain elle a mal mais elle couche, ce qui l’enrage c’est que d’autres ont plus de talent qu’elle, ça c’est insupportable, il faut que tout soit parfait, exactement comme Truc avec son site, ses posters, ses cartes de visite et ses expos, elle-aussi elle veut le même site que Truc, le même dispositif de posters, cartes de visite et expos, la même célébrité c’est essentiel c’est même le sel de la vie, sinon l’art n’aurait pas de sens, l’art n’aurait pas de sens, d’ailleurs elle s’en fout de l’art, c’est con l’art, ça ne sert à rien si c’est pour s’apercevoir qu’on a peinturluré toute sa vie entière et couché et peinturluré et couché : quel vide ! Non, c’est pas possible, ça n’aurait pas de sens, il faut coucher, draguer, cultiver, marteler le crâne de l’obsessionnelle réussite, il faut réussir, il faut passer à la télé, il faut passer à la télé, il faut passer à la télé, il faut passer à la télé, il faut passer à la télé, il faut passer à la télé, coucher, passer à la télé, coucher, s’entraîner à parler, toujours être poli, avec tout le monde oui madame, oublier le truc sanglant dans le ventre et les bites tordues de tous ces cons qui se sont quand même bien foutu de sa gueule et toutes ces heures à ne rien ressentir sauf des coups dans le ventre et l’angoisse de ne pas être célèbre, l’angoisse de finir en lambda dans du carton-pâte avec des couches-culottes pour vieux. Elle, elle veut être une icône en porte-jarretelles de cuir noir et qu’une foule l’acclame, elle veut être une peintre droguée et que tout le monde l’acclame, mais elle veut être un porte-jarretelles de cuir noir ça c’est sûr, ça lui correspond ce costume, par contre le problème c’est qu’elle sait pas jouir, elle est formidablement coincée, elle saurait pas jouir dans la foule, elle saurait pas tenir le micro, elle peut pas jouir parce que l’incroyable sentiment d’exception culturelle qu’elle a cultivé tout ce temps en elle, lui empêche de clairement ressentir toute la dérision que contient la vie à commencer par elle-même, et puis rire, jouir et dire bonjour aux gens c’est incompatible avec bottes en cuir noir et icône trash. Rire de soi-même c’est impossible, je ne suis plus une enfant elle se dit en écartant les cuisses. J’aurais l’air de quoi ? C’est impossible. Y arriver y arriver y arriver c’est amplifier sa condescendance et son sens du calcul, elle en est mortifiée de ne pas savoir jouir, c’est vrai que ferait-elle du micro ? Le sexe d’ailleurs c’est dégueulasse, faut le vivre en sourdine en cachette, on n’en parle même pas, la mort oui ça va encore, mais le sexe c’est pas vendeur, ça pourrait lui nuire de peindre du cul, ça pourrait reculer un peu plus l’accès à l’estrade de la fête foraine. Elle va souvent sur le site de Truc en se demandant quand est-ce que j’aurai les mêmes cernes que Truc et que j’aurai l’air aussi droguée que Truc et que je serai aussi célèbre, c’est pas vrai ça en met du temps. En attendant elle a très peur, très peur que d’autres deviennent célèbres avant elle alors elle les surveille du coin de l’œil elle a les boules elle y pense tous les soirs, et si Machin et si Machin... ? ça l’énerve vraiment, du coup elle fait pas de compliments, faut surtout pas faire de compliments, c’est se montrer faible ça que de faire des compliments, surtout à des gens qui risquent d’y arriver plus vite qu’elle, non faut pas aimer, pas ressentir et pas jouir, faut écraser, faut être très haut, la hauteur appelle la hauteur, je finirai par rencontrer des gens hauts et on ricanera dans les nuages et de temps en temps on jettera la cendre de nos cigarettes sur les humains tout petits tout en bas, ils feront cendriers ils boufferont nos mégots, je fumerai des cigarettes longues et fines et blanches, je ne verrai plus le sol, ça ne me regardera plus, au moins on pourra plus me toucher le cul, au moins j’arrêterai de peindre, au moins je serai un peu quelqu’un, je prendrai un petit quelque-chose des gens hauts qui m’entourent, je prendrai des petits quelque-choses de leur exception et je deviendrai comme eux et je ne serai plus rien, plus besoin de peindre, de coucher, de séduire, je serai sage, flottante et lisse, je me reposerai enfin, je n’aurai plus besoin de simuler des émotions qui n’existent pas en moi, je ne penserai plus, je rirai juste des fois à la fin des phrases de mes amis très hauts, mais c’est tout, je ne penserai plus, plus besoin de peindre, c’est chiant la peinture ça en met plein les ongles, le sexe ça en met plein la bouche, j’aime pas les mixtures, les décoctions, les mélanges, les salissures, les paroles des gens, ils me fatiguent, je serai enfin haute avec des gens très hauts, et on sera morts, et je serai morte et je serai tranquille, on badinera en l’air on fera des ho ho ho j’aurai les ongles manucurés on discutera de pop-art et de lave-vaisselle Philips, au fond j’en ai rien à foutre d’être trash, c’est pas mon truc le cuir, moi j’aime bien les dolls roses et Chantal Goya, j’aime bien les musiques douces, ça me gonfle le trash et les trucs sales, je suis pas comme ça moi, je déteste le sang, le sperme, les rires gras, les gros mots, la musique hurlante, j’adore Brassens, alors qu’est-ce que je ferai avec un micro ? Non moi ce qui m’intéresse c’est la foule, est-ce qu’il y a moyen de capturer une foule de la tenir en laisse de la promener tous les jours comme on promène ses chiens une foule à moi je veux une foule à moi je veux passer à la télé, et si la peinture ça suffit pas, je me recyclerai, j’inventerai un nouveau courant qui utilisera le fluo, des dolls fluos dans les nuages, peut-être que ça plairait, il faut que ça plaise, il faut que je réfléchisse à ce qui peut plaire à la foule et j’aurai ma foule, à moi, ma foule à moi, moi dans la foule et je serais dans ses mains on irait manger ensemble elle me quitterait pas, qu’est-ce qui peut lui plaire ? je suis prête à changer de medium s’il le faut, si tu le veux ma foule, je peux devenir n’importe quoi, mais tenir le micro ça je peux pas, chanter je peux pas, alors je peux faire du play-back en cuir noir jusqu’à temps de trouver des gens hauts, là je te parlerai plus ma foule, plus besoin de puer de coucher, je serai propre et je te regarderai plus et je jetterai mes cendres sur toi et t’iras au kebab toute seule ma foule pendant que moi j’irai dans des restaurants perchés très hauts et qu’on ira se faire vomir avec mes amis gigantesques.

... invidé par estragon à 11:37




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