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09 février 2007




« L’art est donc la question de ceux qui savent que les réponses s'enroulent en spirale vers le haut jusqu'à buter sur certaines cloisons - et quand bien même l'univers s'arrête. L'art est la question fondamentale de ceux qui ne s'enroulent pas vers le haut, mais vers le bas. Le bas.

L'art est la question sur la question. Tu es ma question, en quoi te questionnes-tu sur ma question sur toi. Comme un chemin fou qu'on laisse à la dérive, qu'on laisse sinuer en l'autre. Il n'a plus besoin de vous. Il ne vous concerne plus. Vous l'avez jeté en l'autre. Qu'il se démerde l'autre, qu'il se démerde ce chemin, qu'ils se démerdent tous ensemble. L'art est une question d'autonomie. Une question sur la prise de risque, la pire prise de risque qui soit. La question sur la capacité à endosser un rôle plus qu'anonyme dans sa société. Être une question sans réponse, c'est être anonyme. Le choisir c'est l'art.

Deuxième partie : Reformulons : le choisir c'est être humain.

Il ne vous reste plus que 2h38. »

Don Quichotte mesure 118 centimètres, on l’a mesuré contre le radiateur, on a mis un petit trait rouge sur la fenêtre. Don Quichotte battait des ailes, saignait du flanc. Il s’infiltre partout, surtout entre nous. Ce qui nous sépare est simple à visualiser. Un grand trou. Il s’est logé là. Il pose de curieuses questions parfois. Au début il ne parlait pas.

« Chère Hariette. 12 Juillet 2006.

Tu as peut-être cru indéfiniment qu’on te savourerait jusqu’à cette parcelle en toi qui pleure et qui se déforme et qui court de façon très bête et très exhaustive*, et tu t’abîmes, décevante de complaisance envers les connards. L’idiote machine – « les gens ont besoin de gens comme moi » penses-tu – qui se retrouve à faire des ronds dans une cave en présence de milliers de condamnés, qui vont tous dans le même sens en saignant du nez, et tes fleurs périssent dans les incendies de ces visages écornés que tu n’auras jamais lus, tout juste feuilletés, juste pour voir s’ils te ressemblaient, et tu te plains de ne pas être aimée, tu continues ces sourires pétrifiés, ces rondes et ces traquenards, tu te ramifies, tu souffres avec légèreté en repoussant dans ses contours la substance infinie de ta vie.

À minuit la musique retentit et les sinus frémissent. Des poèmes qui n’ont aucune utilité, qui sentent le parfum de ces constructions aseptisées où seule résonne la maladie. Des mammifères que tu condamnes et qui rétrécissent à vue d’œil plus tu cherches à conjuguer un sens. Des farandoles de bonheur que tu étreins quand le jour s’en va, l’apéritif en guise de plan d’épargne et l’étanchéité de tes tristesses qui coulent comme des moissons, la sonnerie de tes émerveillements, ta vieille tronche que tu endors dans des draps mouillés. Bientôt les barjots que tu traînes dans ta captivité, feront quelques degrés de plus que la température ambiante. »

Don Quichotte a un visage sale et délabré, il parle par onomatopées et se frotte les omoplates. Son oeil gauche glisse continuellement essuie souvent le sol. Sa bouche sirote des truites congelées, maman crie-t-il. Je l'accroche parfois, pour avoir la paix. Je regarde sa mère/ma femme. Don Quichotte est le fruit irrésistible d'une alliance comme tant d'autres, qui file la gangrène au quatrième doigt de la main gauche. Bonsoir ? Bonsoir. Un parasite. Méchant et imposteur.

« Chère Hariette. 13 Juillet 2006.

Comptine contemple une averse de photographes pas si émus qui hésitent entre l’actrice porno à gauche (véritablement inconnue) et la performance de machin dont ils ne savent pas le nom. Comptine trouve tout ça un peu disproportionné. À environ un mètre, José sert un verre. Il cuisine des pommes de terre maintenant. Il sait être gentil. C’est pas le problème. Il éjacule de la bouche. Assez vite. »

Don Quichotte est comme les chiens. À sept heures il vient. Sept heures. Bonsoir/bonsoir. Sept heures ce chien. Je lui dis : "Dis-donc ? Tu veux pas aller jouer sur l'autoroute ?"

*Entreprendre une analyse exhaustive de l'idée de causalité (BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 73).

Corps.

Chaque individu vient au monde dans un mouvement qui le « jette » au monde. De façon tout à fait aberrante, Ignatus Bêlard n’avait jamais glissé sur quoi que ce soit, et même en ce premier instant duquel rien ne fut décidé, son être tout entier refusait le bouleversement, l’entrelac naissant, le choc de la lumière, la perforation des poumons, la palpation d’autres corps. Ignatus boursouflé, rouge comme une civière restait accroché aux limbes de sa mère, on dût l’extirper de ce merdier grâce à un pied de biche, on le finit à coups de pieds. L’ « étant » est notre modalité de présence au monde, ce que nous sommes dans le monde, la somme du vécu et du présent, une ligne infinie, l’étant est notre présence au monde, soit une somme d’incohérences, d’aberrations, de prises de risques, d’aléas et de ruptures, c’est ce parcours aléatoire qui enrichit l’être, l’essence, qui le fait mouvoir. Ignatus vivait pétrifié. Il s’accrochait à sa seule essence comme un réservoir inaltérable, inépuisable, il glorifiait l’essence, il en avait sectionné tous ses sens. (Albinoni – Adagio in G minor).

On voit donc combien l’« être-jeté » d’Ignatus était altéré d’énormes contusions, dûes à un pied de biche, et combien son « étant » souffrait d’une catatonique immobilité.

C’est à partir de cette première dimension du Dasein, être-jeté et étant, que se développe l’existence, une sorte de mouvement vers l’autre et le monde, mouvement qu’Ignatus contemplait avec une suspicion mal rasée, qu’il calfeutrait à coups de karschers de Fluocaril, qu’il épongeait à grands coups de sourires, des sourires entre lesquels on voyait pointer parfois un petit bout d’endive, lesquels étaient promptement assassinés d’un coup de cure-dents à la nuit tombée et voici le seul jeté au monde qu’ait connu Ignatus, sa salive, épaisse et crémeuse dans le siphon de son lavabo rutilant, ses postillons qu’il crachait à la face du monde dans des restaurants où l’on pêchait morues et maquereaux à longueur de courbettes, il se prenait des coups dans la mâchoire, à force de buter contre les sempiternels mêmes murs.

Interlude.

"Je songe que j’ai eu besoin d’un animal familier pour supporter ces murs. Un animal qui efface tout, qui griffe les prunelles rend aveugle, qui perce les tympans, un animal qui efface la peur. Qui fait supporter l’envie de vivre. Au fond c’est cela. Ce n’est pas une envie de mourir. C’est cet effroyable gouffre entre une envie de vivre dévorante, et une existence, chétive, courte et déplumée comme un oisillon rampant."

Corps.

Ignatus n’avait même pas la volonté d’une mouche sur une merde.



« Chère Hariette. 14 Juillet 2006.

On était là, affreusement heureux, à regarder l’horizon, nos quilles frappaient la digue. Pensifs, on se retourna l’un vers l’autre, tendrement souriants d’un abominable bonheur. Puis on se remit à fixer l’horizon monstrueux.

On était là, affreusement heureux, on crachait des clous sur les mouettes. On se serrait horriblement la main, pleins d’un atroce bonheur. »

... invidé par estragon à 23:01




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